Covid-19 : leur relance et la nôtre
Déclaration de Droit au Droit du 20 octobre
Il n’y a pas d’image plus claire du gâchis de dix ans d’austérité que les décombres de la vallée de la Vesdre.
La pire catastrophe écologique de l’histoire de ce pays- et la première catastrophe « climatique » – se déroulait sous nos yeux sans l’intervention d’un « pouvoir public » digne de ce nom, encore moins un « pouvoir public » efficace. Que ceci se passe dans le lendemain d’une pandémie toujours pas « terminé » et qui rien que dans notre pays a couté la vie à plus de 25.000 citoyens, rend cet image encore plus pertinent.
Nos gouvernements ne semblent pas avoir le capital, ni l’équipement ou personnel pour construire des ponts d’urgence, pour gérer les bassins d’eau ou pour renforcer les rivages.
Le « capitalisme pour le peuple » montre son vrai visage ici : débrouillez-vous et restaurez votre propre logement – souvent le seul « capital » dont les citoyens disposent – faites appel à la charité. Aucune garantie des gouvernements : quel contraste avec tous les garanties pour les compagnies d’assurance et pour le « risk management » des banques pour lesquelles la politique et les institutions sont à genoux (« depuis le crise bancaire de 2008 » ?)
Avec cette catastrophe climate dans l’étalage, le « relance corona » se présente : une relance qui aurait renoncé à « l’austérité » et appelle à la « résilience » sur toute l’Union Européenne.
Résilience. Avec un bazooka de 1850 milliards d’euros d’argent gratuit des banques centrales vers les marchés financiers.
Résilience. Avec 750 milliards d’euros de dette que l’UE contracte pour la première fois à ces mêmes marchés financiers, à rembourser avec des impôts qui seront prélevés sur nos revenus.
Résilience. Pour le Green Deal. Pour investir dans la santé et la digitalisation. Pour « réformer » les marchés du travail et libéraliser les marchés des services. Effectués par les « pouvoirs publics » de la zone euro qui se sont « mandatés » pour s’endetter afin de « résilier » le désordre social et climatique, mais pas pour s’approprier le capital pour enlever le débris.
Aucun parti politique ne s’est opposé à ce coup d’État silencieux de l’euro, mis en scène par les institutions Européennes sous la gestion de la pandémie et qui a culminé avec le sommet Européen historique du 14 décembre 2020.
Ce sommet Européen qui après des mois de marchandage, prenait cinq décisions cruciales, distinctes mais politiquement liées et qui ensemble forment le coup d’État :
- le Plan de Relance
- le “Green Deal”
- l’Union Bancaire
- Le mécanisme de “l’État de Droit”
- Cerise sur le gâteau: le budget de l’UE pour les années à venir, en langage eurocratique : la décision sur les “ressources propres“.
Chacune des parties politiques a à son niveau accepté ces principes du coup d’État, facilitant les Institutions Européennes de diriger la relance du COVID-19 vers une “libéralisation”.
Solidarité en Europe, green deal, mettre en quarantaine les banques toxiques, respecter l’Etat de Droit contre les populistes, autonomie stratégique, … les arguments ne manquent pas pour justifier soit éluder le consentement du parlement fédéral. Et on n’a pas manqué de se plaindre du déficit démocratique des régions… tandis que pas un seul élu régional a osé revendiquer le contrôle sur ces milliards que l’UE est autorisée à emprunter pour la première fois.
23 citoyens de ce pays ont demandé que ce budget de relance européen soit testé à l’aune de la constitution et de nos droits fondamentaux. Bien sûr qu’ils ne s’opposent pas aux investissements massifs dans le logement, les soins, la souveraineté alimentaire, la responsabilité climatique, la protection de l’environnement et la relance dans la vallée de la Vesdre et ailleurs.
Mais ils ne peuvent accepter qu’en échange de l’acceptation de ces prêts, on exige des programmes d’ajustement structurel dans le domaine des pensions, du marché du travail. Constat? l’ancienne norme de réforme et d’austérité, qui a temporairement été suspendu suite à la pandémie, devra être rétablie au plus vite possible. Le “nouveau normal” sera l’ancienne pratique de privatiser les économies et démanteler les protections sociales.
Le gouvernement fédéral s’est formé en plein marchandage entre le démantèlement des confinements et autres mesures de protections sanitaires d’un côté, et la décision sur les “ressources propres” – avec “l’ancien” ministre des finances ayant gagné la confiance du monde bancaire comme “nouveau” chef du gouvernement – de l’autre côté. Elle a trouvé l’ingénieux compromis à la Belge dans l’accord de coalition Vivaldi : “Aucun nouvel impôt ne sera introduit en dehors des discussions sur le budget”. Cela signifie quoi en langage humain? Le contrôle budgétaire et l’austérité priment (toujours) sur la redistribution. Seront-ils la santé publique ou une véritable relance qui déterminent la politique? Non: l’esprit du “comptable” devra être mis en tête au plus vite possible.
Les médias bourgeoises continuent à répéter leur “manque de courage pour réformer”-discours, mais ils se rendent bien compte que le moment n’est pas encore là pour réactiver le Pacte Budgétaire. Bien que le probable successeur de Mme Merkel, le social-démocrate Olaf Scholz, appelle déjà à sa réalisation….. Schuldenbremse und Schwarz Note Muss sein für Standort Deutschland und Euro.
Les “trains de la réforme” sont placé sur les rails de façon délicate et discrète. Mais un train en cache souvent un autre. Le wagon de “l’activation des malades de longue durée” (sur un marché du travail tendu) et le wagon des “avantages fiscaux des résidence secondaire” (sur un marché du logement surchauffé) cachent un TGV de la réforme. La réforme structurelle, c’est cela à quoi le Parlement belge s’est engagé en notre nom, mais en quoi que les politiciens se taisent: majorité et opposition, à gauche et à droite, contre tout contrôle démocratique, sauf par la peur. Et sans débat fondamentale en dehors des cénacles des partis.
Pour couronner le tout, deux juges d’accueil de la Cour constitutionnelle ont statué sur le procès de “Relance Corona”, intenté par les 23 citoyens. Leur arrêt est un véritable retour en arrière sur la souveraineté de nos parlements et leur contrôle démocratique de l’argent, et (du coup) un pas en arrière sur “l’État de droit”.
En 2016, la Cour constitutionnelle avait résolu que les futurs engagements supranationaux du parlement devraient être testés à l’aune de la Constitution et de nos droits fondamentaux; un arrêt qui faisait encore l’objet d’intenses débats dans le milieu juridique, et qui constitue le point de départ du regain d’activisme en faveur des droits fondamentaux.
Pour la première fois, une réponse avait été donnée à un trou noir que le régime politique belge lui-même avait créé en impliquant la Belgique dans l’OTAN et la CEE en dehors de la Constitution. C’était un “bel” exemple, bien avant la pandémie, de “gouverner en état d’exception” via des réformes de l’État, et pendant que le débat sur les pouvoirs se confondait avec le débat sur la démocratie (“ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux“). La première réforme de l’État de 1971 avait comblé le fossé de la légitimité démocratique. La régionalisation subsidiaire des pouvoirs a été contrebalancée par le transfert de la souveraineté des institutions démocratiques à l’UE, sous couvert de “confier certains pouvoirs à”. Depuis lors, aucun parti ne s’est jamais demandé si les choix géopolitiques de ce pays, surtout après la chute du mur avec l’introduction de l’euro et sa participation à des guerres illégales, ne devaient pas être mis à l’épreuve de nos droits fondamentaux. Cet honneur revient aux citoyens, qui ont regardé dans le trou noir lorsque la bulle euro a éclaté.
L’arrêt de 2016 incluait la possibilité pour les citoyens eux-mêmes d’engager un dialogue constitutionnel sur la primauté du droit européen sur la constitution, et plus précisément sur le contrôle démocratique des élus des citoyens sur l’argent des citoyens, via le budget, les impôts, la politique de la dette et la réglementation des marchés et des services.
Ce jugement était d’égale importance pour la politique de ce pays que le jugement sur le VB et sur le BHV, mais alors (et contrairement à ces derniers) pour le renforcement de la démocratie et de l’État de droit – ou plus précisément comme un outil de protection contre le démantèlement de ceux-ci. (La pertinence de cet outil l’est d’autant plus dans la situation géopolitique actuelle que la pandémie a exposé: des guerres commerciales et un nationalisme économique croissants, une instabilité financière continuelle, une inquiétante course aux armements, des guerres alimentaires et énergétiques, et enfin la perturbation globale du climat.
L’arrêt du 30 septembre 2021 concernant la “Relance Corona”, est révélateur pour ce pas en arrière. La Cour ne formule aucune nouvelle position sur les nouveaux risques financiers que notre pays prend: ni avec la décision sur les ressources propres, ni sur les nouveaux impôts sans contrôle parlementaire, ni sur la défense de l’identité constitutionnelle. En plus, l’accès à la Cour Constitutionnelle est tout simplement bloqué avec la mention : “sans intérêt”.
Sans intérêt pour les citoyens-électeurs, les citoyens-contribuables, les représentants des salariés, les conseillers municipaux, …
L’arrêt TSCG étant également “sans intérêt”, dîtes-vous? Oui, mais cela ne l’avait pas empêché de formuler un arrêt complet rendu son arrêt complet avec des pistes de défense des droits fondamentaux. Le rejet de l’intérêt (serré beaucoup plus stricte en 2021) pourrait parfaitement se combiner de l’acceptation de la question préjudicielle à la Cour européenne, ainsi facilitant les citoyens Belges de s’engager dans la question fondamentale sur la primauté du droit européen sur les démocraties des États membres. Question sur laquelle en Allemagne des procédures similaires aux nôtres se déroulent, mais qui sont forts moins médiatisés que le débat nébuleux actuel entre la Pologne et l’UE et entre la Hongrie et l’UE.
Avec l’arrêt du 30 septembre, la Cour constitutionnelle légitime elle-même la technocratie de l’État de droit (“pas d’argent du fonds de restauration en cas de violation de l’État de droit”) que même Guy Verhofstadt a qualifiée d’illégale le 14 décembre après le sommet européen… après quoi, bien sûr, il a docilement voté pour.
Le bras de fer entre la Cour européenne / Commission européenne Pologne et Hongrie, tout comme notre procédure et le débat constitutionnel en Allemagne sur la politique de l’argent libre de la BCE, sont la quintessence du coup d’état financier qui a lieu pour bloquer tout contrôle démocratique de la reprise de la couronne de l’euro.
Par principe, le Comité “Droit au Droit” conteste cet arrêt devant la Cour européenne des Droits de L’homme à Strasbourg, en raison de la discrimination par rapport autres citoyens de l’UE qui ont néanmoins eu accès à leur tribunaux pour mener un “dialogue constitutionnel”.
La bataille et le débat politique de la période à venir se dérouleront aussi en dehors des salles d’audience. Même avant la pandémie, de nouvelles forces sociales ont émergé, comme les Gilets Jaunes ou encore la jeunesse climatique, qui ont montré la voie ou tenu un miroir aux citoyens de leur démocratie.
Droit au Droit appelle chacun d’interpeller ses représentants élus afin d’assumer leur responsabilité vis-à-vis de la décision sur les “Ressources Propres”.
Nous suivrons de près chaque étape de la mise en œuvre de la “Relance Corona” et nous contribuerons à la résistance par notre action en faveur des droits fondamentaux.
Partout dans le monde, des travailleurs, des agriculteurs et des citoyens résistent à cette récupération de la soi-disante “relance” et à l’attaque de nos droits fondamentaux, niveau de vie et protection sociale. Chez Mittal à Gand, les travailleurs ont eu l’entreprise en main pendant trois jours (une réaction contre les “food trucks” du patron pour remercier les travailleurs de leurs efforts pendant la pandémie avec des frites et des hamburgers – une gifle pour les travailleurs après avoir supprimés des centaines d’emploi, avoir interdît aux employés de prendre leurs congés et avoir enchaîné le pouvoir d’achat à une loi salariale.) Ils exigaient (et partiellement obtendraient) la restauration de leur pouvoir d’achat. Ces expériences de “contrôle ouvrier” se répandent actuellement dans les entreprises, et le feront en plus dans la période à venir (Lidl et Volvo étant d’autres exemples).
Le droit fondamental au logement est également mis sous pression exacerbé par une vague mondiale de spéculation immobilière que les banques répercutent sur la population. Mais également sur ce domaine la résistance prend racine. Le référendum de Berlin en est symptome, et à son tour inspire d’amples initiatives de squatters, grèves de locataires et la formation de communautés de logement dans toute l’Europe (et comme l’indique la Constitution allemande : “Grund und Boden können in gemeineingentum überfürt werden” dans son article 15).
Le 17 octobre, Droit au Droit a organisé une marche commémorative à Gand à l’occasion des 25 ans de la Marche blanche. Toujours à Trooz, dans la vallée de la Vesdre, un moment commémoratif similaire a eu lieu en présence de Gino Russo.
Après tout, le coup de gueule du Parlement fédéral et de la Cour constitutionnelle rappelle l’arrêt spaghetti anticonstitutionnel qui punissait ceux qui faisaient leur travail dans les institutions et récompensait ceux qui étaient responsables des dysfonctionnements.
Il y a exactement 25 ans, le plus grand mouvement populaire de l’histoire de la Belgique s’est développé en réaction, exigeant droit au droit et mettant à l’ordre du jour le contrôle social des institutions et de la politique, avec Dame Justice comme symbole. Nous portons ce symbole avec nous aujourd’hui afin de faire respecter les droits fondamentaux et la démocratie dans la “relance” de la pandémie.
Rejoignez le comité Droit au Droit et faites le choix :
Leur Corona relance ou le notre?